Ce texte est un extrait d’une intervention d’Hervé de Monplanet IA-IPR d’arts plastiques proposée lors de l’Université d’Été de 1995.
Même si ce texte n’est pas récent, il propose une approche intéressante de l’enseignement des arts plastiques.
Une première question vient à l’esprit : si ce sont des cours dans un cadre d’enseignement général, qu’y apprend-on ? Et en quoi ce que l’on apprend a-t-il une dimension artistique ? Je le formule autrement : comment, dans le cours, va se jouer l’articulation au champ artistique ? (Le terme d’articulation est mis à toutes les sauces aujourd’hui, et c’est un peu inquiétant car cela peut faire perdre ce qui est important : on articule tout maintenant, des tas de choses, mais il y a des articulations qui sont sémantiques, d’autres qui sont mécaniques. Articuler ce n’est pas mettre simplement une rotule et permettre que « ça fonctionne ». Articuler, c’est mettre en liens, et du point de vue de l’intelligence c’est établir des liens, c’est créer une dynamique) . J’en reviens au cours d’arts plastiques, à l’articulation avec le champ artistique dans le cours d’arts plastiques. Il est bien clair que ce n’est plus en termes de résonances superficielles que se pose cette question : il s’agit de repérer comment le champ artistique nourrit le cours, j’allais même dire comment le champ artistique à la fois fonde et justifie le cours ? . Justifier non pas au sens informatique du terme, mais bien au sens de donner une raison (et dans ce cas je prends le mot raison, presque au sens mathématique, c’est-à-dire qui permet la récurrence). C’est à dire par hypothèse, comment il va permettre d’accéder non pas à des savoirs de type histoire de l’art mais à des comportements ou même des postures, et, à travers cela a une culture construite, utilisable, qu’on est capable de remettre en jeu, dont on est capable de faire évoluer et transformer les éléments. Comment la question des références se pose-t-elle ici ? On ne répondra pas qu’il n’y en a pas. Vous êtes tous suffisamment fins pour vous rendre compte qu’il y avait des références. Mais alors à quoi servent-elles, si elles ne sont pas nommées ? Ou encore, est-ce qu’il suffirait de dire « Tony Cragg », ou « Support- Surface », pour que ça fonctionne ? Ou pour dire c’est un cours « en référence à ». Ces questions, je vais essayer de les travailler à travers une sorte de déclinaison sur trois termes simples.
Analyse – Hypothèse
Si on est dans le cadre d’un enseignement général, cela signifie qu’on enseigne, donc cela correspond par définition à un apprentissage pour l’élève. Et notre enseignement est un enseignement artistique. Mais cette évidence ne va pas de soi. Nous travaillons dans un milieu institutionnel – l’école – où ce que l’on attend de nous dans les collèges, ne correspond pas à ce qui se passe réellement. En terme d’apprentissage, il s’agirait d’apprendre quelque chose qui permettrait ensuite de se débrouiller, d’être capable de rentrer dans une véritable pratique. Mais sur le terme de pratique, il y a bien des compréhensions pesantes : apprendre le solfège et faire des gammes sont des apprentissages mais ne sont pas suffisants pour être au-delà de l’exercice et pratiquer au sens le plus fort. La pratique, ce n’est pas faire de la peinture au sens ou « je sais représenter un visage », « je sais manipuler une technique du cinquecento ». Non, ce n’est pas ça, c’est autre chose. Et, je crois que tous ici, nous avons commencé à répondre à cette question.
Donc : il y a bien apprentissage, mais il ne se porte pas sur du factuel, il va se jouer autrement, il se joue davantage au niveau des comportements. Pour qu’il y ait apprentissage il faut que le cours devienne une structure. Le mot structure, ici, ne renvoie pas à l’image de boites empilées, mais a l’idée de la dynamique d’une construction, qui fonctionne en termes d’éléments producteurs de sens et de déplacements.
Premier terme : l’apprentissage repose sur le cours conçu comme structure.
Deuxième terme : cette structure n’a de sens que par rapport au champ artistique. Il est illusoire de vouloir mettre en place des structures si on ne part pas du champ artistique, ce serait en quelque sorte des structures vides de ce qui les constitue comme structure. Ce n’est pas forcement dans une « transposition » entièrement connue et calculée – il faut bien transposer en effet – que se construit l’apprentissage des questions propres au champ artistique, mais dans un travail qui est presque de l’ordre d’un métabolisme, il faut qu’il y ait quelque chose qui se transforme pour que ces questions puissent ressurgir d’une autre manière, non formalisées devant les élèves.
Troisième terme : le champ artistique ne peut pas être transféré tel quel dans la classe, et c’est bien ce sur quoi on bute en permanence dans les cours ; autrement dit, il ne suffit pas qu’il y ait, dans le cours, présentation d’une reproduction d’une oeuvre ou même d’une œuvre importée, ou tout un « chariot » de diapositives, pour qu’on ait touché à l’artistique. L’artistique fonctionne comme l’huile par rapport à l’eau : on croît y rentrer et en permanence on se retrouve sur les bords. Il n’y a jamais quelque chose qui se met à exister, à germiner, à se construire, à grandir de façon autonome. Il y a quelque chose de l’ordre de la force qui se met à habiter une forme (cette forme de l’inconscient, cette forme de l’idée) ; l’idée prend forme, elle est habitée par une force qui accélère les processus. En quelque sorte, c’est l’articulation avec le champ artistique qui tout à la fois suscite, construit, justifie et valide la structure. C’est la cohérence interne du cours. On le voit à tous les niveaux dans le travail que vous faites à partir du champ artistique pour arriver à la mise en place d’une situation d’enseignement : dans la manière dont vous faites que les élèves se mettent au travail, se mettent en situation et dont vous les laissez mettre en jeu quelque chose, qui n’est pas simplement une notion ou une règle à appliquer, mais une mise en oeuvre plus complexe, beaucoup plus complexe ; puis comment à partir de là, vous parvenez à faire nommer, à faire surgir quelque chose au niveau de la conscience.
Première phase : revenons aux deux cours (La première partie de l’intervention décrit ces deux situations de cours observées)
Dans le premier cours, la situation est créée avec des objets, le support-carton, le questionnement sur la couleur (« peut-on apporter toute la couleur dans la classe ? » Grande question pour des petits élèves de sixième.), la demande de classement. Les données apparentes de la situation sont là et les élèves sont rassemblés dans la situation, rassemblés comme on le dit en équitation, c’est à dire à l’écoute, prêts à agir entièrement disponibles, et vous savez tous qu’il y a des élèves qu’on n’arrive pas à rassembler. Vous le dites vous-même lorsque vous énoncez qu’avant d’enseigner il faut créer les conditions d’enseignement. Parfois toute une heure ne suffit pas à les créer, nous l’avons tous vécu, ne serait-ce que dans des classes de ces fameuses zones dites sensibles La mise en situation est comme une façon d’amener les élèves devant une entrée, sur une ligne de départ, avec des choses repérées, qu’on peut appeler des données, données à partir desquelles on va problématiser, à partir desquelles un problème va se construire Pour l’élève, la situation est un ensemble de données qui s’établissent dans une relation active ; les raisons de ces données, il n’a pas besoin de le savoir, « ce n’est pas son problème » comme on dit, c’est celui du professeur, du pilote. Pour le professeur, et pour l’observateur que je suis, la situation n’est pas gratuite, elle renvoie – ou devrait renvoyer – au champ artistique. C’est la relation au champ artistique qui active les données.
…
Extrait d’une intervention d’Hervé de Monplanet IA-IPR d’arts plastiques proposée lors de l’Université d’Été 1995.