– Un certain nombre d’enseignants se trouvaient quelquefois perplexes face à d’anciens programmes tellement ouverts qu’il leur semblait impossible d’en faire le tour.
Les possibilités d’interprétation laissées par cette ouverture pouvaient finir par rendre invisibles, ou pour le moins opaques et donc confuses à certains enseignants démunis, les finalités de notre discipline.
La demande d’un tissu pédagogique plus solidaire et d’une refonte de certaines évidences pourtant quelquefois occultées ont naturellement conduit à proposer un objet d’étude par niveau.
– De la sixième à la troisième apparaît une division qu’il ne faut pas prendre pour un cloisonnement : la question de l’objet en sixième n’exclut pas de parler de l’image ni de l’espace. Il en va de même pour chaque niveau, où une porosité est nécessaire et souhaitable. Cette porosité implique d’ailleurs d’envisager une progression par entrées fédératrices.
Dans ce cadre, le choix de l’objet en sixième doit être entendu comme élément élémentaire d’une découverte. A ce niveau, le bagage des élèves est quasiment nul, ils ont tout à apprendre. Leur âge les guide naturellement vers l’invention et la narration qui sont des vecteurs incontournables d’expérimentation. Appuyée sur ce constat, la manipulation d’objets simples répond à leur niveau d’apprentissage.
Quelle que soit la richesse des sous-entendus culturels sur lesquels repose ce thème, il n’en demeure pas moins que la finalité essentielle du cours d’arts plastiques est la pratique de l’élève. Devant certaines considérations théoriques et méta discursives, la simplicité de quelques actes peut paraître rudimentaires. Ces actes me semblent imposer une certaine humilité. En effet, en tentant de se mettre au niveau de l’élève qui va avancer par l’expérimentation et le tâtonnement vers une prise en compte des caractéristiques de l’objet, le professeur d’arts plastiques va lui offrir une chance de découvrir son environnement.
– Je voudrais maintenant cerner rapidement ce que l’objet peut signifier dans ce contexte. En préambule, un bref rappel de ses diverses approches sémantiques me paraît nécessaire.
On peut considérer comme objet ce qui est conçu par la pensée: objet de connaissance, objet de débat, objet d’étude, objet de méditation, objet de recherches, objet d’un ouvrage, objet de désir… C’est la finalité d’une activité intellectuelle, une sorte de but (un « objectif »); dans ce cas, il peut être confondu avec le « sujet ». Ici, on peut noter la proximité paradoxale de « l’objectif » et du « subjectif ».
En revanche, la psychanalyse désigne par « objet » ce qui est en dehors du « moi », opérant une distinction avec le sujet. « L’objet transitionnel » est considéré par le sujet à mi-chemin entre lui et une autre personne. Cette particularité est très importante pour les enfants car elle leur permet de prendre conscience du monde des objets en les distinguant de soi.
Mais l’objet est également une chose physique.
Animé ou non, il possède en effet une réalité matérielle et substantielle susceptible de générer un sentiment. Il est appréhendé par tous les sens mais c’est principalement la vue qui permet de le connaître et donc de le reconnaître. Il peut être représenté par la pensée capable d’en traduire la forme et de le nommer, il possède cependant une existence indépendante de l’esprit.
C’est vers l’objet que tendent les désirs, la volonté, l’effort et l’action.
On peut définir différentes catégories d’objet : objet inerte, objet mobile ou objet cinétique, objet concret, objet abstrait ou objet métaphysique, objet matériel ou objet immatériel, objet proche ou objet éloigné, objet sensible, objet visible, objet solide, objet fluide ou objet gazeux, objet observable ou objet imaginaire…
Produit en général par une fabrication artisanale ou industrielle, l’objet se distingue des êtres vivants et des éléments naturels en général, que l’on peut cependant quelquefois traiter également en tant qu’objets. Une hiérarchie morale, qui place l’objet au niveau le plus bas, découle de cette classification.
L’objet peut se multiplier, se collectionner, se ranger, se détruire, se réparer… donc, entrer en relation avec d’autres objets et parfois changer de forme.
– On peut dire que le statut de l’objet dépend de son interprétation (objet utilitaire, objet mercantile, objet scientifique, objet poétique, objet érotique, objet artistique … ).
Ce statut (rare ou commun, cher ou bon marché, important ou banal… ) est lié à l’usage et à sa diffusion (« utile » ou « inutile », gratuit ou onéreux, multiple ou unique… ) mais il peut également en être indépendant, et se rattacher à des considérations liées à la forme (taille, couleur, poids, matière, fragilité… ) ou à sa résonance culturelle (objet d’art, objet cultuel, objet « étranger », objet fétiche, objet « banal »…).
L’esthétique est une interprétation de ce statut : l’objet peut être perçu en tant que « beau » ou « laid », et accompagner diverses impressions comme le dégoût, l’horreur, la jouissance, le plaisir, l’extase… Des notions affectives peuvent découler de ces sentiments : l’admiration, l’adoration, l’idolâtrie, la tendresse, l’amour, le rejet, la répulsion, la haine… et des corollaires évaluatifs : la sollicitude, l’attachement, le respect, la moquerie, la raillerie…
La fabrication de l’objet s’accorde à ce statut : on choisit généralement les matériaux et la technique en fonction de la destination. Certains types de réalisations en résultent : moulages, sculptures, constructions, assemblages et d’autres processus liées à la valeur de l’objet : emballage, dissimulation, exhibition, etc., qui permettent de le déterminer ou qui découlent de cette détermination : l’objet peut être usuel, … de première nécessité, … «précieux», objet de culte, objet de convoitise, objet de désir, objet d’art, objet d’échange, objet de négoce, objet de pacotille, objet de luxe, « bibelot », bijou, bric-à-brac… Ces catégories engagent la notion de valeur.
Il existe des objets spécifiques qui ne sont liés qu’à un métier : les outils de précision, les ustensiles de cuisine, le matériel médical ou sportif, etc.
– Par rapport à tout cela, la question est de savoir ce que le professeur d’arts plastiques peut en faire.
Il me semble que, puisque l’objet permet une ouverture sur pratiquement tous les aspects de notre société, et que le professeur d’arts plastiques n’est présumé former ni des artistes ni des artisans mais est supposé participer, comme l’ensemble du corps enseignant, à l’intégration harmonieuse des futurs citoyens, la réflexion sur la place de l’objet dans l’environnement de l’élève s’intègre parfaitement à ce processus démocratique.
Par l’expérimentation, l’élève découvrira progressivement les caractéristiques de l’objet : sa forme, sa couleur, ses proportions, sa relation à l’environnement… Il s’appropriera la richesse d’interventions simples permises par une grande proximité : objet de narration, objet d’invention poétique, objet de transfert affectif ou mise à distance formelle.
Quelle que soit l’endroit du territoire où il se trouve et quel que soit l’objet choisi, l’élève sera confronté à des questionnements plastiques semblables dont la valeur élémentaire se révélera naturellement : comment représenter l’objet ? Comment passer de la tridimensionnalité à la surface du support ? Quels détournements opérer ? Quelles perturbations sémantiques entraînent les mutations diverses ? etc.
A partir d’objets du quotidien dont la banalité n’entraîne habituellement que la routine, l’élève peut ouvrir ses yeux sur le monde qui l’entoure. De ces questionnements parfois ludiques naîtront naturellement des évidences : je fabrique une image, je représente, je construis en changeant l’échelle, je dessine, je peins, je modèle…
La modestie des ambitions doit s’adapter au niveau, la simplicité des dispositifs doit viser des acquis fondamentaux. Peu importe, par exemple, si l’élève ne perçoit pas toutes les références historiques ou littéraires sous-tendues par les opérations d’hybridation ou de métamorphose… L’essentiel est qu’il repère et connaisse les processus qui y conduisent et qu’il maîtrise les compétences permettant de refaire le geste avec distance et singularité. Il ne faut pas oublier que l’objet en sixième constitue une étape du programme d’arts plastiques et non d’une autre discipline.
– A ce sujet, je pense que les références artistiques doivent s’adapter à l’âge de l’élève, leur élévation sémantique doit être un appui pour le cours et non l’inverse. Pour être précis, la question du Ready-made par exemple, et notamment Fountain, engage une lecture si complexe qu’elle ne peut être utilisée en sixième sans risquer le contresens. Il existe, dans le corpus historique, un panel référentiel très riche et il est simple de trouver, pour chaque question abordée en cours, un moyen de montrer à l’élève qu’il n’a pas inventé le fil à couper le beurre autant que matière à ouverture culturelle. Parmi cette manne, les objets usuels préhistoriques peuvent parfaitement soulever la question de leur présence au musée… Il n’est pas évident qu’un élève de sixième sache précisément à quoi sert ce genre de lieux. Ainsi la locution « l’objet et le musée » ouvre de multiples pistes d’investigation y compris plastiques.
– Lorsque l’élève de 6ème va découvrir l’objet au début de l’année, ce sera comme un balbutiement artistique. Il va prendre conscience d’une terminologie nouvelle : surface, volume, relief, image… et va distinguer, dans ses mises en forme, une variété d’objets à destinations différentes et repérer à quel registre appartiennent ses manipulations. C’est à un niveau de découverte et de connaissance rudimentaires qu’il faut adapter l’objet d’étude de sixième : l’élève va apprendre que parmi tout ce qu’il fabrique il peut, par exemple, faire une image avec un crayon, un volume avec de la pâte à modeler, et que dans le premier cas il pourra nommer son acte un dessin, dans le second une sculpture. Il s’initiera au gestes techniques et à leur fonctionnalité (par exemple, la colle doit coller) et la complexité viendra par la suite avec les niveaux suivants (5°, 4° et 3°) qui permettront d’approfondir ses connaissances, ses compétences, ses savoirs et ses savoir-faire. Dans cette simplicité élémentaire, il fera émerger la plasticité et donnera du sens à ses découvertes en s’appuyant sur ce qu’il aime : rêver et raconter des histoires. Les objets, liés à son imaginaire et sa propre personne (sa taille, son âge, ses goûts et ceux de ses camarades) seront les vecteurs de cette initiation.
Cyril Bourdois